Tchad: Visite du Président Mahamat Idriss Déby Itno en Russie : le gouvernement assure que son rapprochement avec la Russie ne vise pas à « lâcher un autre partenaire ».
Le Président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno a rencontré mercredi 24 janvier dernier le Président russe Vladimir Poutine lors d’une visite de deux jours à Moscou. Tandis que Moscou et N’Djamena avaient officiellement annoncé vouloir développer des partenariats bilatéraux dans les secteurs miniers et agricoles, les problématiques liées à la sécurité régionale et aux conflits latents aux frontières du Tchad (Soudan, Libye et Centrafrique notamment) ont également été au menu du jour, la Russie étant un acteur clé des conflits aux frontières du pays.
Depuis le 24 janvier, un emballement médiatique s’est organisé – notamment sur les réseaux sociaux – autour de narratifs associant la visite du Président Déby Itno à un changement historique dans les relations diplomatiques du Tchad ; et comme la preuve ultime que le Président tchadien allait tourner le dos à ses alliés traditionnels au profit d’un partenariat durable avec la Russie. Des pages Twitter et Facebook, associées à des activistes pro-juntes au Sahel, sont allées jusqu’à affirmer que cette visite à Moscou était la preuve formelle que le Tchad allait prochainement rejoindre l’Alliance des Etats du Sahel (AES), pacte de défense mutuel passé entre le Burkina Faso, le Niger et le Mali le 16 septembre 2023 ; auquel le Tchad n’a pourtant aucune filiation.
Plus qu’un renversement spectaculaire de la politique extérieure tchadienne, la visite du Président Déby Itno à Moscou semble en fait s’inscrire dans une diversification toute relative des partenariats du Tchad, influencée par la conjoncture régionale pour l’heure favorable à la présence russe.
Le Tchad : nouvelle carte dans le rapprochement stratégique de la Russie au Sahel
La visite du Président Déby Itno à Moscou apporte une nouvelle illustration des efforts d’influence de la Russie au Sahel. Au sortir de leur entrevue, dans une vidéo relayée par les agences de presse russes, le Président Vladimir Poutine a en effet annoncé suivre « de très près la situation qui évolue au Tchad ». Il s’est dit heureux des efforts engagés par son homologue pour sa consolidation, tout en annonçant vouloir engager plus-en-avant la Russie dans la stabilisation régionale. La multiplication des partenariats entre la Russie et certains pays du Sahel – le Président russe ayant accueilli une semaine auparavant le Premier ministre nigérien Ali Lamine Zeine – s’inscrit dans la volonté croissante de Moscou de renforcer son influence diplomatique, sécuritaire et militaire dans cette région d’intérêt, tout comme d’étendre ses sphères d’action dans des domaines stratégiques comme l’accès aux ressources naturelles régionales.
La rencontre du 24 janvier dernier s’inscrit ainsi dans une tactique de rapprochement russe au Tchad, et au Sahel de manière générale, initiée dans la durée. Le porte-parole de la Présidence russe, Dimitri Peskov, avait déjà précisé à l’agence de presse russe RIA Novosti que « le Tchad est parmi les pays africains un partenaire potentiel, toutes les possibilités de nos échanges sont loin d’être révélées, nous sommes déterminés à continuer d’élargir nos interactions avec les pays africains ».
Un rapprochement conjoncturel influencé par la situation régionale
Cette visite, tardivement annoncée, revêt une importante dimension géopolitique : les voisins du Tchad – entre autres le Niger, la Centrafrique, le Soudan et la Libye – entretiennent des relations au minimum cordiales avec la Russie, au mieux de véritables partenariats comme pour les voisins plus éloignés du Mali et du Burkina Faso. Le Tchad chercherait ainsi à nouer conjoncturellement des relations cordiales avec Moscou, dont les liens et intérêts chez les voisins apparaissent déjà forts. Pour le Président tchadien, difficile dans ce contexte conjoncturellement favorable à la présence russe de tourner le dos au Président Vladimir Poutine et de ne regarder que vers ses partenaires traditionnels.
En outre, d’aucuns affirment que cette rencontre pourrait s’inscrire plus précisément dans des stratégies de politique intérieure. Ce voyage en Russie intervient dans le contexte national tchadien marqué par l’approche des prochaines élections présidentielles. Mi-janvier, le Président a été nommé candidat à la prochaine élection présidentielle pour le Mouvement patriotique du salut (MPS) ; or, une partie de l’opposition (et notamment la coalition Wakit Tamma) reproche à la France de s’ingérer dans les affaires du pays et de soutenir un présumé « pouvoir dynastique » de la famille Déby Itno, narratifs que le Président pourrait avoir à cœur de contrer en diversifiant ses partenariats et en proposant un équilibrisme dans ses relations diplomatiques.
En outre, les propres forces tchadiennes – notamment aériennes – sont en bonne partie équipées de matériel militaire venu d’Europe de l’Est et de Russie. « Au-delà du contexte politique international […], les deux pays se doivent de maintenir un haut niveau de coopération militaire », d’après le journaliste et spécialiste de l’Afrique centrale Mathieu Olivier.
Le Tchad assure que son rapprochement avec la Russie ne vise pas à « lâcher un autre partenaire »
Le ministre des Affaires étrangères tchadien, Mahamat Saleh Annadif, a par ailleurs assuré lors d’une interview récente à la Télévision nationale que le rapprochement du Tchad avec la Russie ne visait pas à écarter un autre partenaire, ou tout autre partenaire traditionnel du pays. « Elle n’a pas d’autre but que de diversifier notre relation. Contrairement à ce que j’ai entendu, ce n’est pas pour remplacer un partenaire par un autre partenaire. Ce n’est pas pour lâcher un autre partenaire pour conquérir un autre […]. Nos relations avec nos anciens partenaires ou nos traditionnels partenaires demeurent les mêmes ».
En parallèle, en visite au Tchad le 31 janvier, le Commissaire de l’Union Européenne chargé de la gestion des crises, Janez Lenarcic, a annoncé l’octroi d’une aide d’un montant global de 117 millions EUR (dont 45 millions EUR pour le Tchad) pour faire face à la situation humanitaire générée par la crise soudanaise qui dure depuis plus de 9 mois, et qui joue durablement sur la stabilité du pays. Pour Janez Lenarcic, « ce financement répondra aux besoins les plus pressants au Tchad » et sera destiné à soutenir dans la durée les autorités et les populations locales tchadiennes qui ont « accueilli en faisant preuve de solidarité remarquable ». Un message fort, qui rend compte des partenariats encore durables et solides que peut entretenir le Tchad avec ses partenaires traditionnels malgré un contexte géopolitique changeant.
Par NLR