Canada: L’histoire d’un pionnier français, Victor Colvez devenu commerçant de fourrures pour l’entreprise Revillon Frères
Maintenant, il osait à peine croire à sa chance : il venait de décrocher un emploi de directeur d’un nouveau poste de traite des fourrures à Green Lake, situé à environ deux cents milles au nord-ouest de Prince Albert (Saskatchewan). Il travaillera pour la société parisienne Revillon Frères. Dans la longue lettre qu’il écrivit à des amis en France en janvier 1905, il raconta son initiation à la vie de commerçant lointain et son premier mois de travail.
« Je suis très apprécié des autochtones. Le directeur est très satisfait de mes efforts de recherche. » Le 17 décembre 1904, Victor Colvez quitta Prince Albert, dans les Territoires du Nord-Ouest du Canada avec des attentes élevées. Victor, ancien boulanger de la ville de Rennes en Bretagne, avait trouvé dès son arrivée au Canada un emploi de cuisinier à la Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest.
Lorsqu’il a appris que M. Delavault, directeur de district de Revillon Frères à Prince Albert, cherchait un homme énergique pour établir un poste de traite des fourrures à Green Lake, il a immédiatement postulé et a été embauché rapidement. Le processus d’embauche avait été très informel. A sa grande surprise, on ne lui a pas demandé de diplôme : pas de papiers, pas de formation particulière, aucun des obstacles qu’il aurait dû franchir, de retour en France.
« Ici, c’est ce qu’ils demandent à un homme avant de l’embaucher, peux-tu faire ceci, peux-tu faire cela, si oui, alors tu es embauché tout de suite. Ils ne demandent pas de certificat de compétence ni de références comme ils le feraient en France ».
Oui, il se considérait certainement comme une homme énergique, en plus il était absolument déterminé à réussir, et « c’était sûrement tout aussi essentiel » me disais-je, je dois réussir et je le ferai, quelle que soit la coût. Le salaire était bon, bien meilleur que ce qu’il était venu gagner comme cuisinier au détachement de la Police à cheval du Nord-Ouest à Prince Albert. En tant que cuisinier, il serait assez content de gagner 25 dollars par mois, mais il avait gardé les yeux ouverts sur quelque chose de plus permanent et de mieux payé – après tout, il avait déjà quarante-trois ans et une femme et cinq enfants à charge. Désormais, en tant que chef de poste de traite des fourrures, son salaire de départ devait être de 45 dollars, plus une allocation alimentaire de 15 dollars et la possibilité d’une augmentation.
Victor était accompagné de son fils de quatorze ans, Victor junior, son nouveau patron Monsieur Delavault et un conducteur d’attelage métis. Il avait emmené son fils aîné lors de ce voyage pour l’initier à la vie de commerçant et l’encourager à apprendre l’anglais et le cree (un dialecte continu de langues algonquiennes parlées par environ 117 000 personnes à travers le Canada, des Territoires du Nord-Ouest à l’Alberta en passant par le Labrador).
Grâce à cet apprentissage informel, il espérait que son fils acquerrait les compétences et les connaissances qui lui permettraient de… « peut-être toucher un bon salaire dans n’importe quelle entreprise de la région ». Peut-être lui est-il venu à l’esprit, au moment où le petit groupe parcourait péniblement le sentier, que son fils pourrait plus tard le suivre dans un poste chez Revillon Frères. La vie d’un agriculteur essayant de gagner sa vie grâce à un lopin de brousse n’était pas pour lui, même dans ce nouveau pays présenté comme plein de promesses.
Dans ses conversations avec M. Delavault, Victor aurait sans doute glané quelques renseignements sur Revillon Frères. La famille Revillon était active dans le commerce de la fourrure et de la mode depuis 1723. Son siège social était à Paris, avec des filiales à Londres et à New York. En 1899, dans le but d’avoir un accès direct aux fourrures brutes plutôt que de les acheter dans les salles de vente aux enchères de Londres, New York ou Leipzig, Revillon avait établi un bureau à Québec, avant de le déménager à Montréal. La même année, la Compagnie fait bâtir son premier petit entrepôt à Edmonton. À partir de ces deux bastions canadiens, l’un à l’Est et l’autre à l’Ouest, Revillon menait maintenant une campagne pour établir ses propres postes de traite des fourrures dans tout le nord du Canada, contre son principal concurrent, la Compagnie de la Baie de Hudson.
En 1904, Revillon avait déjà établi cinq postes sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent, deux au Labrador et deux à la Baie James. Tous ces postes étaient sous la supervision du bureau de Montréal de Revillon. La Compagnie se mobilisa pour établir sa présence à l’embouchure de toutes les grandes rivières se jetant dans la Baie James. Parallèlement, plusieurs postes avaient été créés dans le Nord-Ouest et étaient supervisés depuis le bureau et le dépôt d’approvisionnement de Revillon à Edmonton.
Par Kevin LOGNONÉ