Asie: Du commerce « d’Inde en Inde » au commerce de Chine en Chine : nouvelle fortune de ces messieurs de Saint-Malo ?

Mahé de La Bourdonnais et Dupleix se sont longtemps affrontés sur la vision antagoniste qu’ils défendaient d’une stratégie maritime indopacifique. Le plaidoyer du premier appuyait une vision insulaire (« l’étoile et la clé de l’océan indien ») permettant d’accompagner le développement d’un
« Saint-Malo des Indes » à la fois travaillant en réseau et tourné vers l’extérieur. A l’inverse, Dupleix semblait convaincu de la pertinence d’une vision continentale s’appuyant celle-ci sur un réseau terrestre, fruits d’alliances patiemment tissées avec des potentats locaux.
Dans sa stratégie maritime actuelle, le drapeau tricolore cherche encore sa voie dans un dilemme que Philippe Folliot résume à travers l’adage suivant : la France se croit toujours continentale et européenne alors qu’elle est mondiale et maritime.
Il convient de s’interroger sur la portée du commerce interlope dans le contexte actuel. Ce fameux commerce « d’Inde en Inde » a pris une forme et une assemblage hexagonales dans la cité natale de Mahé de la Bourdonnais : Saint-Malo, incubateur portuaire façonné par les influences ibériques et
d’Europe du nord déjà développées dans ce domaine à travers les expéditions entreprises au XVIIème siècle.

L’œuvre de l’écrivain Bernard Simiot nous permet de nous replonger dans la géographie de ces aventures qui s’étendront sur toutes les mers du globe, de Terre-Neuve à Pondichéry, de la Chine au Pérou. Petit port de pêche aux maisons de bois, Saint-Malo deviendra en quelques décennies une cité de pierre aux façades orgueilleuses. Lorsque la Compagnie des Indes connaîtra de graves difficultés financières, le Roi lui-même décidera que pour la renflouer il convient de faire appel à « Ces messieurs
de Saint-Malo ».
En 1601, la Compagnie des marchands de Saint-Malo, Laval et Vitré qui rêve des Moluques arme deux navires, le Corbin et le Croissant pour « sonder le guay et chercher le chemin des Indes ». L’objectif de cette mission était de sonder le gué, rechercher un chemin vers les Indes et le montrer aux français.
Ces protagonistes deviendront les premiers « marchands d’Outre-mer ». Marchand originaire de Laval,
François Pyrard, embarque à Saint-Malo le 11 mai 1601 à bord du Corbin. François Martin, originaire de Vitré embarque lui à bord du Croissant, et sera aussi à l’origine de la relation de son voyage. François Pyrard, navigateur lavallois qui vécutde 1578 à 1621 environ
et qui fit le tour du monde, a écrit le récit de ses voyages (deux tomes) en 1619 qu’il est possible de consulter sur BNF Gallica.
Désormais, c’est un nouveau paradigme qu’il faut emprunter avec la relation de Chine en Chine. Quelle signification peut-elle soulever en tant que réalité et approche sensible de la distance ? A première vue, la diversité du monde économique, culturel et linguistique sinophone : Macao cultive encore
aujourd’hui des affinités lusophiles avec Brésil, le Portugal et l’Afrique (Mozambique, Angola) quand Hong-Kong préserve jalousement l’odeur fade du Common Wealth. Rétrocédé par les britanniques en 1997, le « Port aux Parfums » conserve un statut spécial jusqu’en 2047. Et entend jouer un rôle dans la Route maritime de la soie du 21ième siècle et la finance « verte ». Réputée pour les fintechs et l’innovation, Hong-Kong possède sa propre monnaie, sa propre fiscalité, et même un siège à l’OMC.
A la croisée d’influences racines chinoises, japonaises et polynésiennes, l’ile de Taïwan occupe le rang de 4eme producteur d’électronique au monde. Taiwan Semiconductor Manufacturing Company est, en 2021, la plus importante fonderie de semiconducteurs indépendante. Son siège social est situé sur le parc scientifique d’Hsinchu.

Après le choc pétrolier de 1973 le ministre de l’économie de Taïwan, Sun Yun-suan, a décidé de développer l’industrie des semiconducteurs avec la création de l’Industrial Technology Research Institute (ITRI) avec l’aide de taïwanais travaillant sur la côte ouest des États-Unis. En 1980, une première société de fonderie est créée à Taïwan, émanant de l’ITRI.
Morris Chang, formé aux États-Unis, a travaillé pendant 25 ans chez Texas Instruments jusqu’à en devenir vice-président responsable de la partie semiconducteurs; il accepta en 1985 l’invitation de Sun Yun-suan, devenu premier ministre de Taïwan, à venir diriger l’ITRI. Chang proposa l’idée de fournir un service de fabrication uniquement de wafers pour les sociétés qui souhaiteraient sous-traiter cette étape coûteuse. En effet à cette époque la majorité des fabricants de puces disposaient de leur propre fonderie.
En 1987, le gouvernement taiwanais accepta de financer TSMC à hauteur d’un peu moins de la moitié des 200 millions de dollars nécessaires à la condition qu’une multinationale du secteur des
semiconducteurs soit parmi les autres investisseurs.
Face à la rivalité avec les Etats-Unis, le commerce de Chine en Chine reste pleinement d’actualité en particulier pour la fabrication de semi-conducteurs dans les énergies renouvelables. Une nouvelle fortune à saisir pour ces Messieurs de Saint-Malo ? La toile collaborative de Chine en Chine représente un champ d’exploration pour une nouvelle génération de « marchands de paix et de prospérité ».

Par Kevin LOGNONÉ

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