Tchad :  » Le médiateur de la République et la nécessité d’un juge de paix dans la société » le regard du journaliste Éric Topona

Le Tchad renoue avec les bons offices d’un médiateur de la République. La fonction n’est pas nouvelle. Elle a été instituée sous la précédente République, avant d’être mise en sourdine, pour revenir il y a quelques jours dans le dispositif institutionnel de la Ve République.

Dans ses missions classiques, le médiateur de la République est chargé de résoudre les différends entre l’administration et les citoyens. Il exerce ses fonctions de manière indépendante, afin d’assurer en toute impartialité et en toute transparence sa tâche d’arbitre de la République. La fonction de médiateur de la République a été instituée pour la première fois en France en 1973. Dans l’hexagone, elle a toutefois connu, en plus d’une décennie, une mutation dans sa dénomination, pour faire place à celle de défenseur des droits. En pratique, les actes du médiateur de la République sont moins visibles par rapport aux autres institutions régaliennes qui touchent au quotidien la marche de la cité, car celles-ci disposent d’un déploiement visible, voire massif dans l’exercice de leurs attributs.
Mais il faut d’emblée préciser la signification de la médiation pour cerner les fonctions du médiateur et leur pertinence dans la société tchadienne actuelle, notamment dans son espace républicain.
En effet, étymologiquement, médiation vient du terme mediatio qui signifie milieu, mais aussi lien. Autrement dit, une médiation est un dispositif qui se situe à équidistance de deux pôles opposés.
Dans le même temps, il pourrait être le lien qui rapproche ces deux pôles.
Une position est dite médiane lorsqu’elle se tient à égale distance de deux points ; dans le cas de la médiation sociale, de deux parties. Ainsi perçue, la médiation est également dite axiale. C’est une position mitoyenne dans un différend.
La fonction de médiateur de la République consiste, entre autres, à protéger les droits des citoyens face à la puissance étatique. Le médiateur de la République veille, d’une part, à l’exemplarité de la République, mais aussi et surtout à la paix et à la concorde sociale, sans qu’il soit nécessaire de requérir la décision des juges des tribunaux.
Fonction ancrée dans les traditions africaines
Au-delà de cette déclinaison étymologique de la médiation, il est important de souligner que cette fonction n’est pas étrangère aux cultures et traditions africaines. La médiation leur est même consubstantielle. La tradition de « l’arbre à palabres » peut être considérée à juste titre comme une expression culturelle africaine de la médiation. C’est d’ailleurs dans ce sillage qu’en Afrique, lorsque survient une crise politique interne ou entre deux États, un médiateur est très souvent désigné sans qu’il soit nécessaire pour les parties adverses de se tourner vers les juridictions internationales.
À partir de cette grille de compréhension, il est indéniable que la fonction de médiateur de la République est indispensable pour la bonne régulation de la société tchadienne contemporaine.
En dépit des avancées obtenues à l’issue des négociations de Doha (mars-août 2022) et de l’apaisement de la situation sociopolitique à l’intérieur du pays, la pacification du Tchad demeure inachevée et doit se poursuivre, comme l’a d’ailleurs reconnu le chef de l’État dans son discours de clôture du Dialogue national inclusif et souverain début octobre 2022. Le Tchad sera d’autant plus fort face à la déstabilisation intérieure lorsque tous ses enfants exprimeront leurs points de vue, même divergents, sous la seule bannière de la République. Il est important pour le médiateur de la République de poursuivre cette tâche de rassemblement et de pacification sur la base des acquis des négociations de Doha et du DNIS.
Zones de tensions
Mais au-delà de la sphère politique, le front social au Tchad affiche des zones de tensions potentielles sur lesquelles il conviendra de s’appesantir, à l’instar de la crise éleveurs-agriculteurs qui a récemment embrasé certaines régions du pays, faisant de nombreux morts et d’énormes destructions de biens. Sans oublier le phénomène d’enlèvement des enfants contre rançons, notamment dans la région du Mayo-Kebbi Ouest.
Nous sommes là face à des conflits qui ne trouvent pas nécessairement de solution devant la justice étatique, mais requièrent une écoute et une immersion dans les cultures et les traditions locales pour trouver les voies d’un apaisement durable.
La médiation dans ce cas de figure a toute son importance
Pour des conflits de cette nature, il ne s’agit pas seulement de recourir à la sanction pénale lorsque nécessaire, mais de créer les conditions d’une paix et d’un vivre ensemble, voire de mettre en place des mécanismes d’une autogestion des différends entre ces communautés. Seul le médiateur de la République peut déployer les mécanismes nécessaires pour y parvenir, car la faible présence institutionnelle de l’État à certains points du territoire national ne facilite pas une telle démarche, qui requiert un temps d’écoute important et une connaissance fine des réalités anthropologiques des parties en conflit.
Anticipation
C’est aussi le lieu de relever qu’il est important pour la médiature d’anticiper les crises à venir et d’être en quelque sorte un discret « lanceur d’alerte » auprès des autorités gouvernementales afin de les désamorcer.
Cette prise d’initiative est vitale dans le contexte actuel où le Tchad, dans un très proche avenir, organisera des élections générales, en l’occurrence l’élection présidentielle qui va consacrer le retour à l’ordre constitutionnel.
Il est important pour la médiature de se tenir dans la posture de ce météorologue qui scrute le ciel afin de prévenir ceux qui tiennent le gouvernail de l’appareil d’État, sur les nuages ou les orages en suspens dans le ciel sociopolitique du pays.
Nous estimons, à cet égard, que le nouveau médiateur de la République, Saleh Kebzabo, a l’étoffe de la fonction. Les différentes responsabilités qu’il a assumées par le passé, notamment celles de député, plusieurs fois ministre, dont ministre des Affaires étrangères, ou encore récemment celle de Premier ministre, l’ont doté de l’attitude, de l’expérience et des aptitudes nécessaires pour avoir une vue panoramique de la société tchadienne, de ses hommes et de ses cultures. Saleh Kebzabo dispose de la capacité d’écoute et d’observation qu’il faut au médiateur de la République pour être ce juge de paix dont a grand besoin le Tchad aujourd’hui et demain. Éternellement.
Par Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle.

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