Libye : Après la mort  de Mouammar Kadhafi, quelles pistes pour sortir de la crise?

 

Depuis la mort du guide révolutionnaire que de nombreux africains qualifient d’assassinat, la Libye est plongée dans une crise sans précédente qui semble l’avoir condamné à une instabilité perpétuelle. Cela fait presque neuf ans que celui qui s’appelait le Guide libyen a été réduit au silence. Sa mise à l’écart du pouvoir qui selon ses détracteurs devait apporter à la Libye la démocratie tant voulue, s’est avérée être une malédiction pour cet Etat d’Afrique du nord qui détient pourtant d’importantes réserves de pétrole.

Pas une journée ne passe sans que dans cette la Libye post Kadhafi ne crépite des armes à feu. Le pays qui n’est plus que l’ombre de lui-même est ingouvernable à cause deux factions rivales qui se disputent le contrôle du pouvoir et celui des gisements pétroliers et gaziers. Malgré les multiples conférences, réunions de haut niveau et sommets organisés çà et là pour permettre à ce pays de sortir de l’ornière, il est resté à genoux. Pourtant la population partagée entre nostalgie de l’ère Kadhafi et regrets désire plus que jamais le retour de la paix sans laquelle elle ne peut redevenir maitresse de son destin.

La crise libyenne, une question africaine selon l’UA

Accusée d’avoir abandonné le colonel Kadhafi au moment crucial où il était traqué par ceux qui désiraient par tous les moyens l’évincer du pouvoir, l’Union Africaine a décidé de rectifier le tire en s’impliquant aussi dans la résolution de la crise libyenne. Même si son aide est souvent qualifiée de celui du « voisin qui vient après la pluie », elle reste convaincue que le règlement de la question libyenne ne peut se faire sans l’implication des africains, d’où la création par cette dernière d’un comité de haut niveau de suivi de cette crise piloté par le président congolais Denis Sassou Nguesso.

L’initiative du président turc Recep Tayyip Erdogan de venir en aide aux troupes de Fayez-al-Sarraj aux prises avec ceux du maréchal Aftar, a suscité de vives réactions sur le plan international et l’Afrique n’est pas en reste. Le président congolais chargé de conduire le comité de haut niveau de l’UA sur la crise libyenne a profité début Janvier de la cérémonie des vœux au corps diplomatique pour rappeler au monde la nécessité selon lui de recourir à l’Afrique pour toute recherche d’une solution éventuelle à la résolution de la crise libyenne en rappelant dans son allocution devant les diplomates étrangers accrédités dans son pays que «La Libye est un pays africain et les victimes du conflit libyen sont essentiellement en Afrique. Dès lors, toute stratégie de règlement de la crise libyenne tendant à marginaliser le continent africain pourrait se révéler complètement inefficace et contre-productive».

Même discours du côté de l’Union africaine qui dans ses principes, condamne avec la plus grande fermeté le recours au mercenariat, qui constitue selon elle un acte criminel.

Par la voix de Moussa Faki Mahamat, elle a fait savoir que « la communauté internationale est appelée à joindre ses efforts à ceux de l’Afrique pour la promotion rapide d’une sortie pacifique de cette crise aux conséquences dangereuses à tous égards pour le pays, la région et l’ensemble du continent». La réunion du Comité de haut niveau du 30 Janvier 2020 à Brazzaville, la 8e du genre, a été l’occasion pour l’instance panafricaine de présenter sa ligne pour une solution politique négociée qui exclue la solution militaire ainsi que toute ingérence extérieure.

Lorsqu’en 2011 la Libye faisait l’objet d’une invasion militaire par les forces de l’Otan, la voix de l’Afrique qui plaidait pour une solution politique avait été snobé par les grandes puissances occidentales et des ONG tels qu’Amnesty International et Human Rights Watch qui au contraire soutenaient l’intervention armée. Aujourd’hui l’Occident semble avoir revu sa position vis à vis du rôle que peut jouer l’Afrique dans ce litige comme en témoignage la responsabilité qui lui a été donné lors de la conférence de Berlin en Allemagne d’organiser avec la collaboration de l’ONU, le Forum inter-libyen.

Pour mieux se faire entendre, Denis Sassou Nguesso appelle les africains à éviter les divergences et à parler d’une même voix. Chose qui semble difficile compte tenu des affinités qui existent entre le Marechal Khalifa Hafter l’homme fort de l’Est libyen et le chef de l’Etat égyptien Abdel Fatah Al Sissi qui assure la présidence tournante de l’Union africaine.

La médiation remarquée de l’Algérie

L’aide des pays voisins de la Libye ne saurait être négligeable dans règlement de cette crise. Présent à la conférence de Berlin organisée par la chancelière allemande Angela Merkel, le président congolais Denis Sassou Nguesso a regretté que certains voisins de la Libye n’eut pas été invités à prendre part à ces assises à l’exemple du Maroc où fut pourtant installé par les Nations unies, les institutions libyennes qui bénéficient actuellement de la reconnaissance de la Communauté internationale.

Contrairement à l’Egypte dont le président est accusé de soutenir le Marechal Haftar, l’Algérie fait preuve d’une grande neutralité dans la gestion du conflit qui déchire la Libye. Depuis le début cette nouvelle année on l’a vu très impliquée dans le règlement de la question libyenne. Opposée tout comme l’Union africaine aux ingérences étrangères elle a multiplié les médiations recevant entre autres les acteurs de la crise libyenne, le président turc Recep Tayyip Erdogan qui a récemment proposé l’envoie de mercenaires en Libye en soutien aux hommes de Sarraj, le chef de la diplomatie des Émirats arabes unis qui violent l’embargo sur les armes instauré par l’ONU et livrent des armements aux Marechal Haftar.

Dans son rôle proactif, l’Algérie a également organisé le 23 janvier 2020, une réunion à laquelle étaient conviés les ministres des Affaires étrangères des pays voisins de la Libye (l’Égypte, le Soudan, la Tunisie, le Mali, le Niger le Tchad). En retour, le président algérien Abdelmadjid Tebboune est également invité à se rendre en Égypte, en Turquie et aux Émirats arabes unis pour des concertations au sujet du dossier libyen. Alger craint en effet qu’une implication des forces estrangères (turque, égyptienne, émiratie) dans la crise ne complique la situation déjà très tendue sur le terrain. » L’implication des pays voisins et de l’UA dans la résolution de la crise libyenne épargnera, aux Libyens l’ingérence étrangère rejetée aussi bien par le peuple libyen que par tous les pays de la région. » Sabri Boukadoum, ministre algérien des Affaires étrangères

S’il faille une présence militaire pour garantir le respect du cessez-le-feu en vigueur en Libye, Alger préfère qu’elle soit de l’Union africaine avec un mandat de l’ONU. L’importance de la médiation algérienne dans la crise libyenne et le rôle majeur qu’elle peut jouer ont été reconnus par le président turc lors de sa dernière visite en Algérie. « L’Algérie est un élément de stabilité et de paix en cette conjoncture difficile que traverse la région et face aux développements en Libye, qui ont un impact direct sur ce pays voisin »

Des sommets qui n’ont pas encore servi à grand chose

L’Allemagne s’est joint récemment au nombre de pays ayant organisé des réunions et sommets pour le retour de la paix en Libye. La conférence internationale qui s’est tenue à Berlin sous l’initiative de la chancelière Angela Merkel et l’envoyé spécial de l’ONU pour la Libye Ghassan Salamé, a vu la participation des cinq pays membres du Conseil de sécurité mais également de l’Algérie, l’Egypte, la république du Congo, la Turquie, l’Italie, les Emirats arabes unis, la Ligue arabe, l’Union africaine et l’Union européenne. On retient comme mesures principales de ces concertations, la nécessité de respecter le cessez-le-feu signé par Fayez el-Serraj et Khalifa Haftar et celle de mettre fin aux ingérences estrangères. Pour de nombreux analystes, un grand pas n’a pas été franchi en Allemagne puisqu’on n’a pas abouti à un accord inter libyen pour mettre fin aux hostilités sur le terrain encore moins d’une volonté manifeste des deux acteurs de la crise de mettre un terme définitif à leurs différents.

La conférence internationale de Berlin a tout simplement accouché d’une souris tout comme l’initiative turco-russe, qui a contraint Serraj et Haftar à la signature d’un accord de cessez-le-feu qui a été violé plus tard. Les rencontres organisées à Paris par Emmanuel Macron en 2018 pour une sortie de crise ou encore le sommet de Prague de novembre 2018 initié par l‘Italie désireuse de reprendre la main sur le dossier libyen ont toutes été soldées par des échecs.

La crise libyenne reste étroitement liée à la mort de Kadhafi chassé du pouvoir non pas par la volonté du peuple libyen mais suite à la guerre lancée en 2011 par Nicolas Sarkozy contre le régime de Tripoli avec le soutien du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Le chaos dans lequel est plongé se pays a crée un flux migratoire que l’Europe peine à gérer mais surtout une détérioration de la situation sécuritaire en Afrique, plus particulièrement dans le Sahel et le Maghreb. L’ingérence étrangère que déplorent l’ONU et l’Union Africaine est pourtant le nœud du problème. Car elle est empreinte d’hypocrisie et est nourrie par les intérêts cachés et obscures de ceux qui soutiennent les deux acteurs qui se livrent au quotidien à des échanges de tirs malgré la détresse de la population. Mettre un terme à cette grosse hypocrisie serait un pas vers l’avant qui pourrait permettre aux deux belligérants du conflit de se parler finalement dans un langage franc et sincère.

Source: afric.online

La rédaction

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