Monde : Etre un Subsaharien en Turquie : oppressions, désillusions, racisme, etc.

Chaque année, de nombreux étudiants africains choisissent la Turquie comme destination pour leurs études universitaires. On estime que près de 60 000 Africains résident dans le pays, qu’ils y soient grâce aux programmes de bourses offerts par le gouvernement turc ou par leurs propres moyens. Toutefois, une fois sur place, leur quotidien peut s’avérer plus complexe qu’ils ne l’avaient anticipé.
Depuis la prise de pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, la Turquie ambitionne de s’imposer comme l’une des Nations fortes sur le continent africain. Entre la multiplication des écoles turques sur le continent et l’octroi de plusieurs bourses d’études aux étudiants africains, le soft power à la sauce turque est en marche. Selon Erdogan, « il y a 340 000 étudiants [en Turquie] provenant de 198 pays différents dans le monde. Parmi eux, 95 % étudient par leurs propres moyens ».
La Turquie est devenue une destination attrayante pour les étudiants du monde et la YTB (Yurtdışı Türkler ve Akraba Topluluklar Başkanlığı), les instituts Yunus Emre et la fondation Maarif contribuent à renforcer la position du pays sur ce segment.
Pourtant, pour beaucoup d’étudiants issus de l’Afrique subsaharienne, la vie en Turquie est marquée par des défis sociaux et culturels. Plusieurs rapportent être confrontés à des discriminations, voire à des formes d’oppression ou encore du racisme, ce qui rend leur intégration difficile dans certains cas. Cette réalité met en lumière des enjeux qui vont au-delà des opportunités académiques, nécessitant une attention particulière pour améliorer l’expérience de ces étudiants en terre turque.
Pour Recep Tayyip Erdogan, ces problèmes susmentionnés n’existent pas dans sa Turquie. Il met en avant l’absence de passé colonial pour souligner la différence entre son pays et les anciennes puissances coloniales, notamment lorsqu’il critique l’Occident sur des questions de racisme et d’injustice sociale. En septembre dernier, le président turc a déclaré à l’université de Marmara, à Istanbul : « Nous sommes un État qui n’a pas de honte coloniale dans son histoire, malgré le fait d’avoir régné sur 3 continents et dans 7 régions climatiques pendant des siècles. […] Personne ne peut tacher cette page blanche. […] Nous ne permettrons pas à notre jeunesse de tomber dans ce piège [racisme] ».Et d’ajouter : « Ils veulent créer une vague de haine contre les étudiants, les touristes et les investisseurs venant de notre géographie de cœur ».
Pourtant la Turquie actuelle n’est pas exempte de critiques. Historiquement, l’Empire ottoman, précurseur de la Turquie moderne, a pratiqué l’esclavage, y compris celui des populations africaines, jusqu’au début du XXe siècle. Bien que l’Empire ait signé en 1880 un traité avec la Grande-Bretagne visant à interdire la traite des esclaves, cette pratique a perduré de manière clandestine. L’esclavage dans l’Empire ottoman ne se limitait pas aux Africains mais incluait également des Européens, des Asiatiques et des peuples du Caucase, contribuant à une société hiérarchisée où les esclaves étaient intégrés dans diverses sphères, allant des ménages aux administrations.
Cette réalité historique contraste avec la posture actuelle de Recep Tayyip Erdogan, qui utilise l’absence de passé colonial pour critiquer l’Occident sur des questions de racisme. Toutefois, le poids de cet héritage ottoman continue d’alimenter des débats, notamment sur le traitement des minorités et des migrants en Turquie aujourd’hui.
Au-delà de l’histoire, beaucoup rapportent des expériences marquées par des discriminations raciales, des abus et des exclusions sociales. Plus tôt dans l’année, des étudiants turcs de l’université de Karabük ont relayé sur les réseaux sociaux des messages dans lesquels ils ont prétendu avoir été contaminés par des infections sexuellement transmissibles (IST), telles que le VIH, après avoir eu des relations avec des étudiantes africaines. La ville de Karabük, située dans le nord du pays, était sous le feu des projecteurs en 2023 suite à l’assassinat d’une jeune gabonaise de 17 ans. Quelques heures avant sa mort, elle avait demandé à sa mère à quitter la Turquie car elle subissait des actes racistes au quotidien et avait même été menacée de mort.
Une autre étudiante camerounaise a raconté à Jeune Afrique en juin 2023 son expérience en Turquie en tant qu’étudiante. « Une semaine après être arrivée sur le territoire turc, j’ai appelé ma mère au Cameroun. J’ai dit : maman, si tu me laisses ici, je vais mourir. Je veux partir en Grèce. Alors que mon année universitaire était validée et payée, j’ai tout laissé et je suis partie. Il fallait fuir », confie-t-elle.
Alors que les étudiants africains subissent parfois des préjugés au sein des institutions académiques et de la société turque, les migrants africains, de leur côté, font face aux obstacles liés à l’accès au logement, à l’emploi et à la régularisation de leur statut. Ces récits mettent en lumière un climat d’hostilité et de marginalisation, bien loin de l’image d’ouverture et de tolérance prônée officiellement par le gouvernement. Par ailleurs, il faut souligner que les étudiants étrangers contribuent à hauteur de 3 milliards de dollars chaque année à l’économie turque. Au-delà de ce volet, ils contribuent également au tourisme et à la diplomatie culturelle de la Turquie après l’obtention de leur diplôme.

Par NLR 

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