Russie:  l’ampleur de la fraude lors du scrutin présidentiel commence à apparaître :

Des soupçons de falsification massives pèsent sur le score record de 87 % obtenu par Vladimir Poutine. Selon des médias russes indépendants, le nombre de voix volées oscillerait entre 22 millions et 36 millions, sur un total de 76 millions d’électeurs.
La lecture des résultats détaillés de l’élection présidentielle du 17 mars, qui a vu Vladimir Poutine proclamé vainqueur avec 87,28 % des voix, tend à montrer que la Russie entière s’est transformée en un immense « sultanat électoral ». Dans le jargon politique russe, le terme désigne les régions où les fraudes les plus grossières sont pratiquées sans souci de discrétion, et qui constituent donc un réservoir de voix quasiment inépuisable pour le Kremlin. Dans les régions du Tatarstan, Saratov, Caucase du Nord, Mordovie, Touva… la participation comme les scores attribués aux candidats du pouvoir dépassent systématiquement les 80 %, voire frôlent les 100 %.
Sans même évoquer les conditions d’organisation du scrutin (opposants factices, médias sous contrôle, climat répressif, pans entiers de la population forcés à voter…) ou les résultats du vote électronique, la fraude dans les bureaux de vote semble avoir atteint des niveaux inédits.
Le constat n’épargne aucune région, pas même Moscou, où les autorités s’astreignaient auparavant à une certaine discrétion. Un exemple : le quartier Danilovski, dans le sud de la capitale. Dans les bureaux de vote où des observateurs indépendants avaient réussi à se faire enregistrer, le score de Vladimir Poutine tourne autour de 60 %. Dans 4 bureaux où ils étaient absents, ce score atteint 99 %. La ville de Chebekino, 40 000 habitants, dans la région de Belgorod, fait mieux : dans l’un des bureaux de vote de cette localité, la participation atteint 100 %, pour un vote à 100 % en faveur de Vladimir Poutine. A côté de ce résultat, même la Tchétchénie et ses 98,99 % accordés au Président fait pâle figure.
Réécriture pure et simple
La fraude a été grandement facilitée, lors de ce scrutin présidentiel, par la réduction drastique du nombre d’observateurs indépendants. La Russie dispose dans ce domaine d’une riche tradition, avec des dizaines de milliers de volontaires, souvent bien formés, qui se faisaient jusqu’à ces dernières années enregistrer comme observateurs. Leur présence durant le vote et au moment du dépouillement compliquait la tâche des fraudeurs. Désormais, seuls les partis admis au scrutin et une poignée d’institutions peuvent accréditer des observateurs. L’accès aux caméras de surveillance placées dans les bureaux de vote a lui aussi été restreint.
Résultat : les vidéos de bourrages d’urnes ou de votes multiples, qui étaient encore légion lors du scrutin législatif de 2021, ont cette fois été rares, et prises souvent presque par hasard, par des observateurs de bonne volonté. C’est le cas, entre autres, de cette responsable de bureau de vote de Krasnodar sortant de l’isoloir avec plusieurs bulletins à la main. L’auteur de la vidéo incriminante a été arrêté sur place puis condamné à 14 jours de prison et à une amende pour « offense aux représentants de l’Etat » et « affichage de symboles interdits ».
Ailleurs, c’est la participation qui a été gonflée artificiellement pour pouvoir augmenter le score du Président. Les fraudeurs appliquent parfois à la lettre les objectifs chiffrés qui leur sont fournis : dans certaines régions, comme Belgorod, Kemerovo ou Ivanovo, des dizaines de bureaux de vote affichaient vendredi, au premier jour du vote, des chiffres de participation identiques à la virgule près.
Dans le bureau numéro 201 de Moscou, grâce à un afflux de votants fictifs, le score de Vladimir Poutine est passé de 57 à 86 % des voix entre le dépouillement et la publication des résultats. La même manœuvre a été constatée et prouvée dans 9 bureaux de vote de Nijni Novgorod. En outre, dans la très contestataire région de Khabarovsk, la commission électorale régionale avait fait passer avant le scrutin un ordre écrit et illégal demandant de ne pas communiquer aux observateurs les résultats des dépouillements.
Affaiblir les adversaires
En plus de gonfler les scores de Vladimir Poutine, une série de mesures mises en place par les exécutants de la fraude avait pour objectif d’affaiblir ses principaux adversaires au scrutin. Exemple dans le bureau de vote de Bagration, à Smolensk : en plus de majorer le résultat de Poutine (passé de 77,1 % à 98,3 % grâce à une participation artificiellement gonflée de 64,5 % à 95,3 %), les fraudeurs ont réduit le nombre de voix recueillies par Vladislav Davankov, chef du parti des « Gens nouveaux », de 115 à 15.
A l’échelle des quelque 94 000 bureaux de vote que compte la Russie, ces cas de fraudes documentées ne semblent rien représenter, mais ils sont révélateurs des méthodes employées – auxquelles il faut ajouter les incertitudes planant sur le vote électronique ou le vote contraint.
Depuis dimanche, différents experts tentent d’évaluer plus précisément l’ampleur de la fraude. Ils se basent pour cela sur une méthode éprouvée au fil des scrutins, dite « méthode Chpilkine », du nom du statisticien qui l’a conçue. L’idée est simple : il s’agit d’identifier les bureaux de vote aux résultats « anormaux », c’est-à-dire ceux où la participation fait un bond significatif et inexpliqué, qui profite exclusivement au candidat du pouvoir. Sur cette base, l’organisation d’observation électorale Golos, bannie de Russie avant le scrutin et dont le dirigeant est emprisonné, estime à 22 millions le nombre de voix indûment accordées à Poutine, sur un total de 76 millions. Soit, selon l’organisation, « la plus importante fraude de l’histoire des élections en Russie ». Le média en exil Novaïa Gazeta Europe arrive, lui, à un chiffre de 31,6 millions, en utilisant la même méthode.

Par Benoît Vitkine, correspondant à Moscou pour Le Monde.

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