Monde: Les corsaires et les Pays-Bas Bourguignons : enjeux et paradigmes de la liberté des mers (Mare Liberum)

La liberté des mers (Mare Liberum) est née dans la lointaine Europe lorsque Grotius, père du droit international, a préconisé ce concept pour libérer la domination de l’Empire de Philippe II d’Espagne sur les villes commerçantes péninsulaires de la Mer du nord et leur accès aux marchés en expansion des Indes orientales.
Le processus d’émergence des Provinces Unies, État prédécesseur de l’actuel Royaume des Pays-Bas et le premier État-nation néerlandais entièrement souverain relève d’une histoire maritime très complexe qui a façonné tant la Mer du nord que l’Océan indien.
Rappelons que les Pays-Bas Bourguignons sont le nom donné, a posteriori, aux provinces des Pays-Bas historiques acquises par les ducs de Bourgogne de la maison de Valois-Bourgogne puis par les Habsbourg, entre les XIVe et XVIe siècle. Leur territoire couvrait la majeure partie des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg et des Hauts-de-France. Ce vaste espace maritime était relié par des jeux d’alliance à des territoires qualifiés de « pays de par-deçà » : des possessions plus méridionales de Bourgogne et Franche-Comté. Ces derniers seront officiellement unis par la Pragmatique Sanction que leur confère Charles Quint en 1549. En 1555, ils seront légués à Philippe, roi des Espagnes à partir de 1556, et formeront les Pays-Bas espagnols.
Mais préalablement, un âge d’or entrepris par les ducs Bourguignons a engendré une influence forte dans les Pays-Bas historiques, notamment à Bruxelles avec le développement d’industries de luxe. Les ducs Bourguignons intervenaient activement dans l’essor du commerce en unifiant les monnaies et en contrôlant leur frappe. Aussi, l’organisation du commerce international devint plus libérale dans de nouveaux centres tels qu’Anvers (qui n’avait pas de halles, ce qui facilitait la liberté de vendre où l’on veut). A l’inverse, les centres anciens tels que Bruges, restaient attachés à une organisation corporative qui gênait les transactions commerciales.
Dotée d’une lanterne de phare, la Tour octogonale du Leughenaer (ancienne graphie néerlandaise) rappelle une autre ère de changements et de retournement favorable à Dunkerque comme à d’autres villes de Flandres. « C’est du pied de ces remparts bourguignons de 1405 que de nombreux corsaires cinglèrent vers des combats héroïques où ils portèrent très haut le renom de la France et de leur cité natale. » peut-on ainsi lire en contemplant le monument le plus ancien de la ville natale de Jean Bart, en flamand Jan Bart ou Jan Baert, né le 21 octobre 1650, descendant d’une famille d’armateurs à la course.
La jeunesse de ce corsaire hors-du-commun ayant appris le métier à 12 ans sur un brigantin de garde côte, expérience qui lui permit de mémoriser les contours des côtes hollandaises, écossaises, irlandaises, anglaises et françaises, est exceptionnelle. A 16 ans, il s’engage chez les Hollandais, alliés à la France à cette époque, sur « le plus beau bâtiment de la marine hollandaise », Les Sept Provinces. A 23 ans, lorsque la guerre éclate entre la France et la Hollande, Jean Bart choisit son camp : il revient à Dunkerque. Sa bravoure est très vite remarquée par Colbert et Vauban et récompensée par Louis XIV lui-même, car sa victoire de la bataille du Texel fait baisser le prix du blé de 30 à 3 livres tournois.
Cette grande habileté résume peut-être aussi l’influence interculturelle qui jouera en faveur de la suprématie hollandaise sur l’océan Indien (XVIIe siècle). Née d’une lutte contre l’Espagne, la vocation maritime et commerciale des Provinces-Unies s’est ouverte sur l’océan Indien via la route des épices, sur le chemin exploratoire des portugais et avec l’aide involontaire des anglais qui avaient anéanti l’Invincible Armada espagnole en 1588.

Le 20 mars 1602, les marchands hollandais fondèrent la compagnie appelée Verenigde Oost Indische Compagnie avec l’objectif de commercer avec les Indes orientales, c’est-dire les pays de l’océan Indien et de l’Insulinde. Un élément de cet essor reste largement négligé. Les avancées horlogères et la marine sont liées. L’apparition des premières horloges maritimes, qui conservaient la mesure du temps même sur un navire en mouvement fut une révolution. Elles permirent aux marins de se positionner en mer avec une très grande précision. Le métier d’orloger (sans H) remonte à l’époque de Charles Quint qui va recruter des orlogeurs pour le réglage des canons. Des horlogers maîtrisant la gravure des platines en laiton ont pu être chargés de la fabrication d’instruments de pointage ou de calcul, comme les équerres à fil à plomb, ou les compas de proportion « de Galilée » permettant toute sorte de calculs et qui comportaient souvent des échelles destinées à un usage en artillerie.
En somme, dès la fin du Moyen Âge, les aventures vers l’Océan indien ont connu leur première incubation technique et culturelle dans les Pays-Bas bourguignons et ses ports stratégiques comme Dunkerque en particulier, qui faisaient partie de la Bourgogne de Charles le Téméraire qui s’étendait jusqu’en Franche-Comté. Au XVIe siècle, sa lointaine héritière était l’Espagne.
Entre Mer du Nord et Océan indien, voyager dans le temps et les archives nous permet de faire un pont entre les continents. Les enjeux ont-ils changé ? À nous de le découvrir!

Par Kevin LOGNONÉ

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