Côte d’Ivoire : les enjeux de l’élection présidentielle de ce samedi 31 octobre
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Les Ivoiriens sont appelés aux urnes pour le premier tour de la présidentielle, le 31 octobre 2020, dans un climat tendu. La crise préélectorale que connaît la Côte d’Ivoire s’est cristallisée autour de la volonté de l’actuel président Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat. Depuis août, au moins une trentaine de personnes ont perdu la vie en marge de manifestations contre cette candidature et durant des affronterments intercommunautaires. Le deuxième tour est prévu le dernier samedi du mois de novembre dans un pays de nouveau politiquement fragilisé, alors que ses perspectives économiques laissent optimistes.
Une économie florissante qui n’endigue pas la pauvreté
La Côte d’Ivoire est l’une des plus importantes économies de l’Afrique de l’Ouest. Elle est membre de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) qui rassemble huit pays dont le franc CFA est la monnaie commune, et qui forment une union monétaire avec la France (le CFA dispose ainsi d’une parité fixe avec l’euro). Selon le Trésor français, la Côte d’Ivoire représente ainsi “plus du tiers du PIB” de l’organisation sous-régionale estimée à plus de 59 milliards de dollars (environ 50 milliars d’euros) en 2019. Le pays est le premier producteur et exportateur de fèves de cacao.
Depuis 2012, le pays connaît “une progression moyenne de 8% par an” de son PIB, indique la Banque mondiale. Un chiffre en baisse cette année pour cause de la pandémie liée au coronavirus. En octobre 2020, le Fonds monétaire international prévoit une croissance de 1,8%, mais avec une reprise en 2021.
Cependant, note la Banque mondiale, le pays “gagnerait à redistribuer davantage les fruits de sa bonne performance économique aux populations les plus vulnérables, à intégrer davantage les femmes dans l’économie et à développer son capital humain afin de mieux répondre aux besoins du marché du travail”. Ainsi, plus de 43% de la population ivoirienne vit au-dessous du seuil de pauvreté qui est “de 737 FCFA par jour (1,1 euro)”, selon l’Institut national de la statistique.
La Côte d’Ivoire s’étend sur une superficie de 322 462 km² occupée par près de 26,5 millions de personnes dont plus de 40% a moins de 15 ans. Quelque 7,4 millions d’entre elles sont appelées à voter pour choisir leur futur président parmi quatre candidats.
Qui sont les prétendants à la magistrature suprême ?
L’actuel président ivoirien Alassane Ouattara est le candidat du Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Son ancien allié et ex-président Henri Konan Bédié, leader du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), représente la plus importante formation politique de l’opposition. Pascal Affi N’Guessan, représentant l’une des deux ailes du Front populaire ivoirien (FPI) fondé par l’ancien président Laurent Gbagbo, est également en lice. Tout comme le député Kouadio Konan Bertin, un dissident du PDCI. A 51 ans, il est le plus jeune candidat à la présidentielle ivoirienne.
Ces quatre candidatures ont été validées par le Conseil constitutionnel à la mi-septembre 2020. Contrairement à celles de l’ancien chef d’Etat Laurent Gbagbo, acquitté par la Cour pénale internationale (CPI), et de l’ex-chef rebelle et ancien Premier ministre Guillaume Soro, tous deux condamnés par la justice ivoirienne. En septembre, la Cour africaine des droits de l’Homme a demandé à la Côte d’Ivoire “de lever immédiatement tous les obstacles” qui empêchent les deux hommes de se lancer dans la course présidentielle.
Outre ces poids lourds, d’autres figures de l’opposition ont vu leur candidature invalidée, comme Mabri Toikeusse (ancien allié du président Ouattara), Mamadou Koulibaly (ancien président de l’Assemblée nationale et chef du Lider) ou encore de Marcel Amon Tanoh (ancien ministre des Affaires étrangères d’Alassane Ouattara). Toutes les raisons avancées par le Conseil constitutionnel ont été balayées par les principaux concernés. Tous ces leaders politiques font aujourd’hui bloc contre ADO, le surnom d’Alassane Ouattara formé par ses initiales, pour contrer ses nouvelles velléités présidentielles.
Tensions préélectorales
Au cœur des tensions politiques en Côte d’Ivoire, la candidature à un troisième mandat du président Alassane Ouattara jugée anticonstitutionnelle par l’opposition. Un avis que ne partage pas le régime selon qui les compteurs ont été remis à zéro par la nouvelle Constitution de 2016.
Alassane Ouattara, 78 ans, annonce en mars 2020 qu’il souhaite “laisser la place aux jeunes” lors du prochain scrutin présidentiel. Une démarche saluée par les Ivoiriens et la communauté internationale, notamment le président français Emmanuel Macron. ADO mise alors sur son Premier ministre Amadou Gon Coulibaly. Mais ce dauphin meurt le 8 juillet 2020, à 61 ans, des suites d’un infarctus. Le président ivoirien, au pouvoir depuis 2010, décide alors de revenir sur sa parole, “un sacrifice”, selon lui. Alassane Ouattara, qui avait répété durant des mois aux Ivoiriens que la nouvelle Constitution ne lui permettait pas de briguer un troisième mandat, change radicalement son fusil d’épaule.
Une volte-face qui n’est pas du goût de ses opposants dont les partisans protestent depuis la confirmation, en août, des ambitions présidentielles d’Alassane Ouattara. Le 11 octobre, lors d’un grand meeting, l’opposition unie lance officiellement le mouvement de “désobéissance civile”, “un boycott actif” pour obtenir “une transition politique”. Outre “le retrait de la candidature anticonstitutionnelle et illégale d’Alassane Ouattara”, l’opposition ivoirienne exige “la réforme de la CEI et du Conseil constitutionnel, l’audit international de la liste électorale, le retour des exilés et la libération des prisonniers politiques”.
L’opposition ivoirienne a déjà suggéré un report de la présidentielle afin de créer les conditions d’un dialogue politique. Laurent Gbagbo, qui est sorti de son silence depuis 2011 lors d’un entretien accordé à la chaîne francophone TV5MONDE, préconise également de “négocier” pour éviter le pire. Autrement, “ce qui nous attend, c’est la catastrophe (…) Il faut discuter”. C’est aussi au dialogue que les Nations unies ont invité les acteurs politiques ivoiriens par la voix de son secrétaire général, Antonio Guterres. Il les exhorte à s’engager dans “un dialogue constructif” pour épargner à la Côte d’Ivoire une crise semblable à celle de 2010.
La crise post-électorale de 2010
Après le coup d’Etat raté du 19 septembre 2002 contre le président Laurent Gbagbo, la Côte d’Ivoire se retrouve divisée en deux. La ville de Bouaké, située dans le centre du pays, devient la frontière entre rebelles et armée régulière. Organiser au plus tôt un scrutin présidentiel est la seule issue pour sortir le pays de la crise politique. Laurent Gbagbo, élu en 2000 pour un mandat de cinq ans lors d’un scrutin déjà controversé, doit accepter d’organiser de nouvelles élections en 2005.
L’accord politique de Ouagadougou (APO), signé en mars 2007, ouvre la voie à l’organisation d’une présidentielle. Trois ans plus tard, le scrutin est enfin rendu possible le 31 octobre 2010. Le premier tour se déroule sans incident. Le second tour se tient le 28 novembre et oppose Laurent Gbagbo, leader du Front populaire ivoirien (FPI) et de la Majorité présidentielle (LMP), et Alassane Ouattara, président du Rassemblement des républicains (RDR) et canditat de la coalition du Rassemblement des Houphouétistes pour la paix (RHDP).
Les dissensions politiques au sein de la Commission électorale indépendante (CEI, composée à majorité par les membres de l’opposition comme prévu par l’accord de 2007) empêchent l’organe électoral de proclamer les résultats dans le délai imparti, soit 72h après le vote. C’est finalement sur la chaîne française France 24 que les résultats de la présidentielle sont prononcés le 2 décembre par Youssouf Bakayoko, le président de la CEI. Les chiffres donnent Alassane Ouattara vainqueur de la présidentelle avec 54,1%. Mais ils ne sont pas validés par le Conseil constitutionnel présidé par un proche de Laurent Gbagbo. Ce sont les Nations unies qui finiront par jouer les arbitres.
Lors d’une conférence de presse, le 3 décembre 2010, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire Choi Young-jin expliquait la démarche de l’ONU : “Il ne devrait pas y avoir de confusion. Pourquoi ? Parce que le gouvernement ivoirien a invité le Conseil de Sécurité à me donner le mandat de certifier le résultat des élections en Côte d’Ivoire. Certifier. Il y avait deux résultats, l’un par la Commission, l’autre par le Conseil constitutionnel. Je suis là pour certifier avec l’autorité finale.” Le diplomate confirmera les résultats proclamés par la CEI. La victoire d’Alassane Ouattara est ainsi reconnue par la communauté internationale. Laurent Gbagbo ne se considère pas vaincu pour autant. Un conflit éclate : il fera quelque 3 000 morts. Après avoir été arrêté, Laurent Gbagbo sera transféré à La Haye pour être jugé par la Cour pénale internationale (CPI) où il est accusé de s’être accroché au pouvoir “par tous les moyens”. L’ancien président ivoirien sera finalement acquitté “de toutes les charges de crimes contre l’humanité qui auraient été commis en Côte d’Ivoire en 2010 et 2011” à la mi-janvier 2019.
La France et les affaires ivoiriennes
La Côte d’Ivoire est une ancienne colonie française qui a gardé des liens étroits avec la France. Après le putsch de 2002, Paris s’implique militairement et diplomatiquement dans la vie politique ivoirienne. Erigée en juin 2003, la zone tampon qui sépare le territoire aux mains des rebelles et celui contrôlé par l’armée ivoirienne, est confiée à l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) à laquelle participe la force française Licorne. De même, les premières négociations entre le pouvoir ivoirien et les rebelles commencent à Marcoussis.
Plus tard, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, dont Alassane Ouattara est proche, l’armée française participera à l’intervention qui permettra de déloger le président Laurent Gbagbo en avril 2011, une opération qui mettra un terme au conflit politique. Les relations entre Paris et Abidjan seront au beau fixe durant la décennie suivante.
En mars 2020, le président Emmanuel Macron se réjouit que son homologue ivoirien annonce son retrait de la scène politique. Mais quelques mois plus tard, quand la candidature du président sortant se confirme, le chef de l’Etat français est appelé à la rescousse par l’opposition. “Le silence assourdissant de la France serait incompréhensible et vaudrait complicité”, estime Guillaume Soro dans une lettre ouverte. Pascal Affi N’Guessan invite, lui, Emmanuel Macron à “ne pas cautionner le coup de force institutionnel” perpétré, selon lui, par l’actuel président ivoirien qui rencontrera son homologue français début septembre. Dix ans après avoir dénoncé l’ingérence française, une partie de la classe politique lorgne encore du côté de Paris.
Par Ousmane Diallo