Tchad : Me Mamgodibaye Benjamin dénonce le silence des juristes face à l’arrestation des avocats.

Dans un communiqué, l’avocat au barreau du Tchad. Me Mamgodibaye Benjamin dénonce le silence des avocats, magistrats, des huissiers, face à l’arrestation des deux avocats Me Max Loalngar et Me Koude Mbainaissem arrêtés parmis d’autre leaders lors de la manifestation lancée par la coalition des actions citoyennes Wakit Tamma , contre la politique française au Tchad le 24 mai dernier.

Voici l’intégralité de son communiqué

LE SILENCE DE NOS COMPAGNONS

Par compagnon, je designe les Magistrats, les Huissiers et les Notaires. Les Avocats ont en commun avec ces corps judiciaires, la connaissance et la maîtrise de la règle de droits. C’est pourquoi, on nous appelle des Juristes. Nous partageons avec eux aussi la pratique de la règle de droits, d’où l’appellation des praticiens de droit.

Nous partageons également certaines luttes pour l’édification de l État de Droit. Mais depuis le 14 mai 2022, date qui marque l’arrestation et la détention arbitraire des Leaders de WAKIT TAMMA, nous n’avons pas enregistré la réaction de nos compagnons.

Il est exact que Me Max Loanlgar et Me Koudé MBAINAISSEM, arrêtés parmi les Leaders, sont nos confrères. Il est normal que les Avocats se mobilisent en première ligne. Cependant cette lutte est orientée pour demander le respect des droits humains et des valeurs fondamentales. Cette lutte est au delà de la simple libération de nos confrères, des autres Leaders ou de tous les Manifestants.

Albert EINSTEIN, un philosophe, déclarait déjà au 19 e siècle que  » le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire ». Au stade actuel de notre civilisation, il ne faut pas garder silence aux injustices, aux massacres des êtres humains , aux impunités…..Il ne faut pas garder silence face à une gouvernance chaotique et sans vision.

L’on a pas besoin de prendre les gangs pour s’exprimer sur ces questions d’ordre patriotiques. Il est important qu’à un moment donné, il faut faire le distinguo entre l’intérêt général et l’intérêt personnel. C’est à ce niveau que se situe les enjeux de cette lutte. Elle a pour objectif de préserver et protéger l’intérêt général.

L’histoire d’amour entre le peuple et ce gouvernement de transition s’estompe brutalement. Ce Gouvernement nous a donné l’espoir mais rapidement, après un an d’existence, nous avons été profondément déçus. Ils se préoccupent des luxes, des belles villas , des belles V8 et des partisans pour les soutenir. Ils sont incapables de fournir simplement et uniquement, de l’électricité à la population.

C’est à cause de toutes ces frasques politiques que les Leaders dénonçaient et organisaient des manifestants pour exprimer leurs colères dans l’intérêt de la population. Eux , ne voulaient pas la Présidence de la République , la Primature, un poste ministériel, un poste de directeur général ou des affaires financières, ils veulent que le peuple vive décemment et en paix, par respect de leurs droits et libertés. A cause de cet engagement social, ils sont embastillés, jetés à la maison d’arrêt de Klessoum, déportés à la maison d’arrêt de MOUSSORO et probablement condamnés le 06 juin.

Toute cette opération organisée par le gouvernement est en violation des règles de procédure. Le Barreau a cessé les activités, parcequ’il y a violation des droits humains et des valeurs fondamentales.

Il faut travailler sur l État de Droit aujourd’hui et demain. Les Magistrats qui constituent le pouvoir judiciaire pèsent lourd lorsqu’il s’agit des débats et lutte pour l’État de Droit. Ils ont des structures syndicales: SMT et SYAMAT qui leur permettent de s’exprimer. Mais malheureusement, ils regardent simplement. Les Huissiers et les Notaires regardent aussi sans rien dire.

1- Les Magistrats.

Il est permis de douter que cette affaire de manifestation du 14 mai 2022, est purement politique. Le gouvernement utilise les Magistrats pour étouffer les voix contraires.

Les grands écarts rhétoriques que nous avons entendus de certains Magistrats nous laissent perplexes. Quelques uns ont opéré le choix le plus risqué de soutenir le gouvernement. Ils nous tombent dessous à bras raccourcis.
– l’un des Magistrats déclarait que la libération sans audience des Leaders n’est pas possible, parce que le Procureur de la République n’est plus compétent.

C’est complètement à tort de faire une telle analyse qui ne repose pas sur aucun fondement juridique. En effet conformément à l’article 292 alinéa 4 du code de procédure pénale dispose que # Le Procureur de la République peut décerner le mandat de dépôts #, et lui même peut le lever, dès lors que le dossier de la procédure n’est pas encore transmis au Tribunal. En l’espèce où j’écris ces lignes, le dossier de la procédure est toujours au cabinet du Procureur de la République. Le procès verbal qui saisit le juge en cas de flagrant délit est encore au parquet d’instance.

Alors , puisque la loi lui offre une faculté, ce dernier peut saisir cette même occasion pour lever le mandat de dépôt et laisser les Leaders comparaître libres en Citation Directe. Nous demandons leur liberté et non leur innocence.

Cette situation est provoquée par l’incompétence du Procureur de la République qui n’a pas respecté la loi , laquelle lui fait obligation de traduire immédiatement et sur le champs, les prévenus au Tribunal ou à l’audience la plus proche mais il fixe de façon discourtoise à notre égard, l’audience le 06 juin , c’est à dire à trois semaines.

– Un autre disait que le dossier de poursuite est solide. C’est complètement faux. En effet le juge avant de délibérer, doit répondre aux trois questions fondamentales de droit suivantes :
1) Est ce que la manifestation a été autorisée par l’autorité compétente ? La réponse est affirmative. L’infraction d’attroupement non armée et illégales est écartée.
2) Est ce que le Trajet fixé à été respecté ? La réponse est affirmative.
3) Est ce que les Leaders ont détruits les biens privés ou Publics? Non.

Au regard de ces réponses, en quoi les Leaders doivent être tenus pour responsable des infractions à eux reprochés, alors que c’est un principe général, que la responsabilité pénale est personnelle, c’est à dire chacun doit répondre personnellement de ses actes. La responsabilité pénale n’est jamais collective.

Le Procureur de la République n’a pas un dossier solide, que les instructions reçues de sa hiérarchie pour les emprisonner , malheureusement, il ne peut pas les utiliser à titre des preuves devant les juges.

En tout état de cause , nous avons besoin des soutiens des Magistrats pour l’avancement de l’État de Droit. Les Avocats étaient à leur côté au moment difficile. Ils ne peuvent pas nous abandonner en plein vol.

Je me rappelle en 2015 , les Avocats se sont Levés pour leur arracher l’inamovibilité des juges que l’ancien régime voulait supprimer. Présentement, ils sont en grève par rapport aux violences exercées contre eux , les avocats leur ont apporté des soutiens indéfectibles.

2- Les Huissiers.

Les Notaires sont généralement des bureaucrates. Ils ne sont pas exposés comme les autres corps judiciaires, par conséquent ils rencontrent moins des problèmes.

Par contre , je ne comprends pas le silence lourd des Huissiers. La chambre des Huissiers n’a pas exprimé sa solidarité ni les condamnations de toutes les tragédies que connaît le pays.

Le réflexe du juriste consiste à condamner les violations des droits de l’homme. C’est une lutte commune, parce que nous avons été formés pour défendre la société. La population compte sur nous , elle n’a plus confiance aux hommes politiques, nous sommes leur dernier recours.

Je me rappelle en 2013, j’étais un jeune Avocat, un Huissier à été froidement abbattu en pleine journée. Les Avocats ont décidé de cesser les activités aux fins de retrouver les assassins, d’où l’histoire de l’hélicoptère qui a décollé pour retrouver les assassins. Les Huissiers victimes des agressions ont reçu toujours nos soutiens. La semaine passée, nous étions en assemblée, un des confrères nous a fait état d’une situation de violation de l’étude d’un Huissier par les militaires , nous lui avons apporté notre soutien. Pourquoi c’est difficile pour les autres?

3- la date du 06 juin.

La date du 06 juin est devenue célèbre dans le milieu judiciaire : elle correspond à la date de jugement des Leaders et à la date de l’assemblée générale des Magistrats.

D’abord le procès des Leaders devrait se tenir à N’Djamena mais sera boycotté par les Avocats qui sont en cessation des activités jusqu’à leurs libérations. Nous n’allons pas donner la crédibilité à un simulacre de procès, pour montrer à l’opinion nationale et internationale que les Leaders ont été jugés conformément à la loi. Nous n’allons pas cautionner ce règlement de compte.

Nous n’allons pas abandonner nos confrères, à l’arbitraire il faut opposer l’arbitraire, en politique il faut opposer la politique. Mêmes les trois avocats de l’État qui ont reçu grassement des pactoles ne seront pas à l’audience sous peine de sanction disciplinaire. La solidarité entre les Avocats # en temps de guerre # est solide.

Ensuite l’assemblée des Magistrats prévue depuis le 05 mai aura lieu le 06 juin. C’est possible qu’ils durcissent le ton en allant en grève ou continuer avec les suspensions. Avec cette crise judiciaire que traverse le pays , il vaut mieux pour eux de prendre une bonne décision.

D’ailleurs depuis le 17 mai , ils ne sont pas pratiquement en activité, parce que le principe contradictoire et le droit de la défense obligent les juges à renvoyer systématiquement les dossiers des Avocats, par conséquent les audiences ne tiennent pas. Le Tribunal , la Cour d’Appel et même la Cour Suprême sont paralysés. De ma mémoire d’avocat, la justice Tchadienne n’a jamais vécue une telle crise. Ceci dénote d’un fiasco imputable au gouvernement de transition.

Me MAMGODIBAYE BENJAMIN, AVOCAT AU BARREAU DU TCHAD.

 

La Rédaction 

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